Le constat actuel

Un régime de retraite, géré en Répartition (concept qui autorise d'honorer les charges courantes en attribuant aux cotisants des droits de tirage sur les ressources futures), doit rechercher un équilibre entre les cotisations d'une part, les allocations de retraite et les dépenses de gestion et d'action sociale d'autre part. Les financements extérieurs concernent le surcoût de l'abaissement de l'âge de la retraite et une compensation partielle des charges de chômage et de préretraite.

Des réflexions sur le niveau élevé de l'accumulation patrimoniale des droits à la retraite par répartition face au tassement des ressources sont engagées depuis quelques années pour analyser le poids financier des retraites en cours ou en constitution. Ceci concerne la valeur actuelle des pensions à recevoir des systèmes obligatoires diminuée de la valeur actuelle des cotisations restant à verser et constitue une créance sur la production des générations futures. Le vieillissement de la population et la faiblesse éventuelle de la croissance économique rendront la créance morale de la répartition plus lourde et nécessitera de maîtriser en permanence les termes du contrat social entre les générations.

Le maintien difficile de l'équité entre les générations, pour les gestionnaires des régimes, face à la contrainte d'équilibre doit s'évaluer, de plus en plus, à partir d'un bilan longitudinal de l'effort de retraite et de l'avantage qui en découle. La parité de traitement entre actifs et retraités devient le critère primordial conformément aux principes de solidarité qui régissent un régime interprofessionnel en répartition. Le vieillissement actuel n'explique qu'une faible part de l'augmentation des déficits sociaux . Les dysfonctionnements des systèmes de retraite par répartition mettent particulièrement bien en évidence les liaisons qu'entretiennent la mutation économique et sociale et la difficulté de financement du système de protection sociale. Le poids de l'accroissement du risque de fin de carrière a un impact sur les ressources de la répartition. Le retrait précoce et massif des travailleurs âgés de l'activité s'est réalisé par la voie du chômage et des préretraites tandis que l'insertion des jeunes sur le marché du travail est de plus en plus longue. La prise de conscience qu'il n'y a pas de corrélation entre les sorties anticipées d'activité et l'augmentation des emplois libérés pour les jeunes est à joindre au dossier qui constate que le vieillissement de la population active et le financement des régimes de retraite dans les années à venir devront conduire à un prolongement de l'activité.

Un débat démographique ou économique?

Le caractère inéluctable du vieillissement en France, selon des indicateurs statistiques et dans l'hypothèse moyenne , se traduira par une part des plus de 60ans de 26% en 2020 contre 20% environ actuellement. La légère reprise de la natalité, en 1998, a fait remonter le taux conjoncturel de fécondité (qui donne le nombre d'enfants qu'aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés à chaque âge demeuraient inchangés) à 1,75 enfant par femme. Mais la proportion de femmes qui n'auront pas d'enfant tend à s'accroître et la descendance finale des générations risque de diminuer : restée à 2,11 enfants à la génération née en 1950, elle pourrait tomber à 1,95 pour les femmes de 1965. Il faut souligner que la population française a gagné plus de 16 millions d'habitants depuis cinquante ans avec d'importants flux migratoires.

Le vieillissement démographique est accentué, à long terme, par la baisse de la fécondité et la hausse de l'espérance de vie. La mortalité continue à baisser en France. Le vieillissement social correspond de moins en moins au vieillissement biologique. L'allongement de l'espérance de vie concerne surtout les plus de 60ans qui ont aussi bénéficié de meilleures conditions de vie. Les inégalités entre groupes sociaux sont cependant importantes et la montée en charge de la précarité
(7 millions de précaires) pèse maintenant sur l'état de santé global de la population.

Pour analyser l'activité en France, la primauté d'une vision socio-économique globale est nécessaire pour constater que les structures de l'emploi se sont radicalement transformées au cours du siècle, entraînant progressivement le passage d'une économie centrée sur l'agriculture à une montée de l'industrie puis à une domination des services (plus des deux tiers de l'emploi total).

Le déclin de l'emploi industriel commence à la fin des années 70. L'essor des services reste insuffisant pour juguler cette baisse de l'emploi agricole puis industriel en cette fin de siècle. Le processus de " déversement " vers le secteurs des services s'avère plus difficile bien qu'il demeure le grand réservoir d'emplois.

Les taux d'activité actuels laissent une marge importante à la création d'emplois. Et faute de mieux, en période de faible activité, le recours au traitement social du chômage permet de limiter les dégâts provoqués par une telle situation. L'augmentation présente de la population active totale résulte du seul mouvement démographique ; en effet l'activité féminine croissante est pratiquement compensée par le raccourcissement de la durée de la vie active. La population active devrait diminuer à partir de 2006 à cause de la baisse de natalité intervenue au début des années 80. La redistribution des emplois reste significative, si l'emploi non qualifié régresse, le nombre des emplois précaires ne cesse d'augmenter. Les jeunes sont durement touchés par le manque d'emploi et la faiblesse des salaires de départ. Les pertes de ressources actuelles de la répartition sont dues essentiellement au chômage et à la dégradation de la "qualité des emplois" associée au tassement de la masse salariale soumise à cotisations.

A partir de 2005-2010, la progression de la population active se réduira par le départ à la retraite des classes d'âge nombreuses du baby-boom , le financement des retraites risquera de supplanter le chômage dans la hiérarchie des priorités nationales... La réalité du vieillissement ne correspond pas cependant à l'image figée de la personne âgée basée sur un critère d'âge qui ne permet guère de saisir les transformations. Un nouvel indicateur du vieillissement doit restituer la réalité humaine et sociale pendant la "retraite active". Les concepts "d'espérance de santé" ou "d'espérance de vie sans incapacité" sont liés aujourd'hui aux gains d'espérance de vie aux âges élevés . La part des années vécues sans incapacité au sein de l'espérance de vie est significativement croissante. Les différents groupes sociaux ne sont pas cependant égaux devant les handicaps liés à l'âge. Il faudra assumer la charge de personnes de plus en plus âgées et dépendantes.

La remise en cause de la partition de l'existence en trois périodes "formation, vie active, retraite" est fondée sur une meilleure gestion du temps imposé et du temps choisi ainsi que sur la contrainte de la diminution de la masse du travail disponible. Le rapport démographique pour la répartition est bien affecté présentement par le choc économique et structurel. Les difficultés actuelles de financement tiennent au nombre trop faible d'actifs cotisants par rapport au nombre de prestataires alors que la population active augmente . En effet, le taux d'emploi réel des actifs, la durée de leur activité , deviennent plus importants que le rapport théorique actifs potentiels/inactifs. La présence massive du chômage (nul ne sait quand il se réduira) remet en cause la notion de plein emploi, celle du travail et aussi l'organisation de la société.

Le problème "d'équité intergénérationnelle" retient l'attention de nombreux chercheurs : les pertes de ressources actuelles de la répartition, dues au chômage et à la dégradation de la "qualité des emplois", pèsent sur les futurs retraités mais les rapports économiques et financiers entre les générations ne vont pas à sens unique des actifs vers les retraités. Les personnes âgées contribuent de plus en plus à la vie économique par l'aide qu'elles apportent aux jeunes générations mais aussi assument le grand âge d'ascendants. Une économie de la retraite, née de l'allongement de la vie humaine et de la baisse importante de la natalité , met en relief le poids des coûts sociaux dans la récession. Elle a entraîné une augmentation des coûts de fonctionnement de nos sociétés non seulement à cause de celui de la retraite, de la santé et du chômage, mais plus largement à cause de la proportion des inactifs volontaires ou non. La triade "retraite-santé-chômage" pose un risque financier pour la protection sociale.

Le remède de fond repose sur une variable économique: le niveau de l'emploi. Le système par répartition s'appuie sur la conception d'une société et d'une économie solidaire. La recherche d'une cohérence entre système socio-économique et protection sociale passe nécessairement par un nouveau contrat économique et social.

Dans l'environnement de croissance faible que nous avons traversé, l'étape d'adaptation du régime de retraite des cadres dans l'accord du 25 avril 1996 a été de maintenir la spécificité du régime de retraite des cadres d'une part - réaffirmation de l'identité de l'AGIRC, intervenant au-delà du plafond SS, le régime est à la fois un régime de base et un régime complémentaire

et de garantir la pérennité de la retraite par répartition d'autre part suivant une évolution cohérente des ressources et des charges.

Comme le souligne l' Observatoire des Retraites, tout dispositif de retraite se traduit par un transfert intergénérationnel immédiat le jour où les pensions sont à payer. Le coût de la retraite recouvre ce qui est inhérent à ce transfert, en répartition comme en capitalisation. En attendant le cotisant doit "payer un prix " pour l'acquisition de ses droits à pension. La modulation des paramètres techniques donne le " tarif " propre à chaque système de retraite. La part des prestations " vieillesse " dans le PIB des pays européens est d'environ 12% contre 12,7% en France. La masse financière destinée aux retraites est indépendante de son mode de financement et n'est que le reflet de la situation socio-économique des pays européens.

Par contre la part des salaires dans les revenus en France a baissé considérablement depuis 2 décennies et devient inférieure à ce qu'elle était en 1950 . Il est clair que l'élargissement de l'assiette de cotisation est posé dans le contrat social de la répartition pour maintenir le lien entre revenu direct et revenu différé en réintroduisant, par exemple, des éléments non contributifs qui échappent actuellement à l'assiette. Le choix actuel de la solidarité est tenable mais des corrections sur son assiette de financement s'imposent.

Résultats des opérations de retraite de l'Agirc - Arrco (en milliards d'euros).